« La trahison ne permet nulle indulgence, général. Il a été jugé coupable et devrait être reconnaissant que je ne me serve pas de sa cervelle pour tapisser le sol. Pas encore. »
Un homme nu, pieds et poings sanglés contre mur d’acier balançait indolemment la tête de droite à gauche. La panique se traduisait dans son regard par des roulements acharnés de ses orbites. L’homme était à peine conscient. Des traces de brûlures, des plaies, des membres sectionnés laissait songeur sur les châtiments que le traître avait dû subir.
Un général de guerre accompagnait la séance d’inquisition auprès de Caïn. Toutefois, les hurlements damnés du garçon (les traits jeunes bien que tirés, il ne devait alors n’être qu’un enfant) avaient chatouillés la conscience fragile du chef militaire. Caïn le regardait d’un œil dédaigneux et mauvais. Il s’était interposé et avait manqué de si peu l’électrocution de force.
« Ne vous mettez plus jamais en travers d’un Damné, général Wrenn. Vous pourriez amèrement le regretter. » Lui sourit-il sur le ton d’une menace tacite.
La seconde suivant claquait de nouveau le crépitement sonore et douloureux des éclairs mordant la chaire ramollie du jeune homme. Le général Wrenn fixa de stupeur l’inquisiteur avant de quitter la pièce. Quelques minutes après, le Maître Caïn le rejoignit.
« Allez ordonner l’attaque des mines de Lamatell. Ses amis y préparent de nouvelles révoltes. »
Caïn s’en allait alors rejoindre des occupations plus prioritaires lorsqu’il se retourna et, espiègle et le regard luisant d’une étoile de malice, sourit.
« Oh et… Faites venir quelqu’un, que l’on nettoie cette horreur. »
Et tandis qu'il s'éloignait du visage pâlit d'horreur du général, Caïn laissait alors une traînée vermeille derrière lui.
***
Le passé de Caïn semble embué de mystères. On en sait relativement peu sur sa vie avant qu'il ne soit entré au service de l'Empereur, il y a bientôt plus de huit ans. Toutefois, ses dossiers laissent trace d'une origine belle et bien anglosaxonne, natif d'une Liverpool industrialisée, grise et malade. Les rumeurs concernant l'inquisiteur sont aussi multiples que ses talents Chacun y va de son information personnelle et nourrit la légende de son jadis que le damné ne dément jamais ni ne confirme. Cependant, un bruit fait comme écho à la cour impériale. Le garçon serait issu de la noble famille Abalphagor ayant situés leurs industries au tout près de la ville Lumière, Paris. Peu intimé avec son paternel et ses dons croissants, le garçon aurait sans douté abandonné sa vie familiale pour se concentrer sur lui-même. Aucun lien ne sera jamais infirmé ou affirmé et les rumeurs galoperont ainsi sur la jeunesse inconnue et inexistante du Maître Damné pendant longtemps.
***
Caïn plongea son regard glacial dans celui d’un géant à la stature noble. Droit et respectueux. Il posa son genou au sol et dans une toute humble soumission, inclina la tête.
« Tes épreuves furent longues et difficiles. Mais tu as passé tous tes tests avec habileté. Sois en fier, mon apprenti car ici commence ton service auprès de moi.
Jures-tu fidélité, obéissance et abnégation à ton seul maître ?
- Je le jure.
- Jures-tu de vivre et de mourir pour ton seul maître et au nom de ton seul maître ?
- Je le jure.
- Jures-tu d’écraser par ta rage tous les ennemis de ton seul maître et plus encore ?
- Je le jure.
- Relèves-toi. Et prends-le. »
Caïn redressa la tête. Son regard, brillant, se posa sur la tige métallique que lui tendait Maître Leonard. Ce sabre-laser qui lui était dû depuis si longtemps et dont il ne rêvait que d’en manier la puissance. Il se redressa. Posa la main sur le sabre. Et le prit. Rouge comme la colère, comme la passion, comme le sang qu’il jurera de verser au nom des idéaux de son maître.
« Tu pars en mission dès à présent. Un véhicule est à ta disposition pour te rendre à Londres où tu rencontreras le Général Wrenn. Il te briefera sur ta quête. »
Caïn salua respectueusement son maître et mentor et s’en alla à ses affaires.
***
Un bruit faisait écho depuis quelques mois. Un homme, fugace et ambitieux, puissant dans la force, faisait trainer son nom jusque dans les oreilles de Lord Roan, tandis que l’Empire ne connaissait que les prémices d’un ordre à part entière. Sir Leonard envoyait son jeune acolyte, tiré des bas-fonds de la triste Liverpool pour l’élever vers une guerre contre ceux qui s’opposeraient à l’idéologie du Lord et de ses partisans. Caïn était bien moins qu’un apprenti. Un initié, sans envergure ni crédibilité aux yeux des politiciens, sans aucun droit.
Mais guidé vers ce qui semblait être la providence et naturellement aidé par un fort talent à manier le sabre d’entrainement et la force, le jeune Caïn connaissait des débuts dans l’ordre des Damnés prometteur. Sous sa main tomba des rébellions et par une verve d’argent, il convainquit de grands seigneurs à soutenir Lord Roan dans sa quête de purification. Au nom d’épreuves cruelles et monstrueusement ardues, Caïn devint un assassin imperméable aux émotions et à la douleur. Sa discipline et son respect des doctrines damnées lui valurent la réputation d’être le plus digne et le plus fidèle au Lord. En raison de quoi, il gagna le privilège immense d’assister quelque fois à des réunions de conseils et d’écouter d’une oreille distraite les tactiques discutées en assemblées militaires. Par cela, Caïn appris la stratégie des combats.
Un jour qu’il tenta l’initiative de proposer un plan d’attaque, un maître damné lui brûla l’artère d’un violent coup de sabre. L’attaque fut un échec cuisant et Caïn souffla son idée à son maître qui s’appropria les honneurs du héros de guerre. Le jeune apprenti n’eut plus qu’alors distiller la rumeur de son usurpation pour gagner la confiance et même le respect des autres damnés. Ses premiers faits d’arme et sa légende ne tarda pas à circuler à l’oreille de tout l’ordre qui devenait alors un Empire.
***
Caïn avait été convoqué par l’Empereur.
Un vent nouveau avait nourrit ses ambitions et le gonflait d’une énergie noire pure et menaçante. Des affaires en Danemark l’avait conduit aux portes d’un très vieux sanctuaire scandinave païen. Son maître, curieux des anciens dieux et de leurs terribles pouvoirs l’avait conduit à penser que les élus ne seraient peut-être que les nouveaux dieux de ce millénaire. Et Caïn, héritant de la soif d’érudition de Sir Leonard et de son intérêt très grand pour les cultes ésotériques, avait tant soutenue cette idée qu’il voyagea de son propre chef aux frontière du tombeau des vikings, malgré l’occupation républicaine. Ses faux-papiers réussirent à tromper l’ennemi et la force qu’il maitrisait à présent mieux que son maître (il n’en doutait pas une seconde) le porta au bout de sa quête.
Quelques semaines plus tard, Caïn contactait Sir Leonard sur un canal privé et rentrait au bercail. Personne à part l’élève et le maître ne serait au courant des découvertes qu’il fit en Danemark. Et quelques jours après le retour de l’apprenti, le maître succomba. Si personne ne put accuser personne de l’assassinat de Leonard, cependant, tous resteront certains de l’inculpation de Caïn dans sa mort.
Cette prouesse secrète mais néanmoins célèbre le conduisait aux portes du conseil des damnés.
« Entre, Caïn.
Il entra.
- Ta réputation te précède, jeune damné, et tous ici connaissent les faits d’arme qui font ta renommée.
- Où est l’Empereur ?
Les fluctuations dédaigneuses et mauvaises de sa voix de plurent guère à l’assemblée. Il tomba sur les genoux, accablé de la douleur d’un éclair de force. Il déglutit un mélange de salive et de sang. Il s’était mordu la joue pour ne pas crier.
- Sois plus respectueux, misérable ! Comment peux-tu espérer que l’on ne t’accorde le privilège de rencontrer l’Empereur ? Nous sommes tous rassemblés ici en son nom. Sois en déjà fier.
Caïn sourit, imperceptiblement. « Fier »... Le damné en avait marre d’être fier d’être traité comme moins qu’il ne valait. Il se pensait à présent bien supérieur à tous ces administrateurs Impériaux dont la principale occupation n’était plus qu’à régir un gouvernement du haut d’une tour de verre.
« Tes capacités et ta fidélité envers l’Empire t’honorent du titre très respectable de damné. Il est fâcheux que ton maître ne soit plus présent pour admirer ton ascension.
Silence. Silence pesant et lourd d’allusion.
« Toutefois, sa mort libère une place qui, il nous semble, te revient à présent de droit. Tu as prouvé ta valeur et nous avons délibérés sur ton sort.
Il avait fallu que Sir Leonard ne meure pour qu’enfin sa présence dans l’Empire ne soit remarquée. Leonard vivant, jamais, songeait Caïn, il n’aurait eu l’occasion de fouler cette salle.
Connaissant d’avance ce qu’allait annoncer les maîtres et seigneurs, Caïn se redressa pour mieux savourer sa victoire.
« Tu es élevé au titre de Maître Damné. Tu es maintenant autorisé à choisir un apprenti et tu hériteras de tout ce qui appartenait à ton maître. De ses biens, de ses finances comme de ses obligations. T’incombe à présent l’honorifique office d’Inquisiteur de l’Empire ainsi que le très haut rang de Gardien des Secrets. La bibliothèque privée de feu Maître Leonard te revient donc de droit. Fais-en bon usage.
Sir Leonard, effectivement, possédait une bibliothèque où étaient archivés tous les secrets occultes de ce millénaire et du précédent. Par ses recherches, la Force avait revêtit un aspect spirituel et mystique que peu lui accorder. Si les scientifiques et chercheurs offrait à la Force une puissance cartésienne et limitée, en tant que Gardien des Secrets, Leonard savait que résidait en cette dernière une entité bien plus grande, bien plus puissante. Une entité sans morale ni éthique qui liait toute chose et tout être. Une entité avec une volonté propre. Une entité que les religions, anciennes et nouvelles nommaient à tort Karma, Dieu, St-Esprit ou Chance. Par ces théories occultes, Leonard avait acquis la réputation d’un illuminé ou d’un fou aux yeux de ses homologues. Caïn en héritait la charge et la portait alors avec infiniment plus de dignité que lui.
Caïn inclina respectueusement la tête.
- C’est un immense privilège que de porter un tel titre au nom de l’Empire. Je saurais m’en montrer digne.
- Nous l’espérons. Dans les appartements de ton maître. Tes appartements se trouvent un gage de la gratitude de l’Empire pour les services que tu lui as rendu ainsi qu’une prime. As-tu des questions ?
- Aucune, votre excellence.
- Tu peux disposer, jeune maître.
Il s’inclina profondément, fit quelques pas en arrière pour ne point leur faire affront en leur tournant le dos et sortit de la salle.
Dans sa salle se trouvait le double-sabre de son maître. Toute sa formation, Caïn rêva d’en porter un ainsi. Et jamais cette faveur ne lui fut accordée. Aussi, en comparant le squelette des deux sabres, Caïn décida d’abandonner son sabre rouge et se prendre ce qui lui revenait de droit : Le double sabre-laser violet de son maître.
***
Rapport n°4 du 12/04/30
Moscou, Russie
Mission accomplie.
Pertes : 5
Les membres du groupuscule de l’Astre Noste se sont rendus après une bataille près du bassin de St-Anton. Seul trois survivants ont été dénombrés : Le chef de la rebelion, Mitrian Glovarnov, sa femme, Catarina Lespon et un enfant d’un nom inconnu.
Les ruines près du bassin ont été détruites et d’importantes fouilles du site ont permis de déterrer des armes cachées par l’Astre Noste (cf. Compte-rendu ci-joint) ainsi qu’une communauté de réfugiés. J’ai pris l’initiative de gazer le village et vous envoie les prisonniers survivants afin de les interroger et de les vendre aux marchés d’esclaves. Le gouvernement Russe, non-coupable de trahison est cependant coupable de laxisme et apporte un lourd tribut à l’Empire pour avoir fait montre d’un manquement de rigueur avec leur communauté.
Afin de donner exemple, j’ai pris la décision de séparer les enfants réfugiés et survivants de leur mère et de les exécuter publiquement, précédant des tortures publiques. Les statistiques indiquent que la corruption a donc baissée de 18% à Moscou.
Je rentre à Londres d’ici peu avec le butin promis.
PS : Cher maître Ashmod, je sais que vous aviez espoir que je trouve un apprenti digne de porter mes enseignement. Malheureusement, je n'ai trouvé que lâcheté, impudence et vanité. Les Russes, pour ce que j'ai pus en voir, ne sont qu'un ramassis d'idiots sans subtilité ni lueur d'intelligence. Vous ne m'avez pas compris lorsque je vous parliez d'un apprenti qui sache démontrer sa puissance. Celle des sensibles à la Force russes n'est qu'apparente et primaire. Nous en rediscuterons autour d'un verre dès mon retour. D'ici là, portez-vous bien.
Respectueuse, maître Caïn.